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Cultures numériques

Cours de Bachelor 1

Le mème, quelques considérations

Le terme mème apparait en 1976 dans un ouvrage d’anthropologie et est d’entrée de jeu contesté. Défini comme "un élément d’une culture pouvant être considéré comme transmis par des moyens non génétiques, en particulier par l’imitation", il est contesté depuis pour son rapprochement hasardeux avec la génétique, mais pose des questions intéressantes sur la transmission des idées et les mutations inévitables qu’elle occasionne.

Une histoire de culture avant d’être une histoire d’internet

Le concept mème a donc été inventé dans autre contexte que celui du web, et avant lui. Il pose la question de la transmission de la culture, et de son rapport à la duplication : est-ce qu’apprendre quelque chose, c’est le dupliquer depuis sa source ? Les recherches en neuroscience semble plutôt dire qu’une bonne partie du processus cognitif consiste à recréer l’information plutôt que de simplement la copier, comme on copie un texte.

Dans le monde analogique, une duplication entraine une modification du signe original. Il suffit de re-photographier une photographie, ou photocopier un document, pour s’en apercevoir. Le numérique par cotre permet la duplication à l’identique d’un original numérique, ce qui pose une série de problèmes nouveaux (voir la vidéo "copier n’est pas voler").
Associé au réseau internet et à des services de partage, il a donné une ampleur nouvelle au mème : la facilité et la vitesse de propagation et d’appropriation/détournement des signes est sans comparaison avec ce qui a pu exister par le passé. D’autant que le web permet une traçabilité fiable des mèmes : on peut retrouver l’historique de mèmes avec par exemple le site knowyourmeme.com (par exemple, d’où vient Nyan cat)

Propagation virale et mème

Lorsqu’une info se diffuse sur internet, une vidéo représentant un accident spectaculaire mais sans victime filmé par une caméra de surveillance par exemple, on parle de viralité, mais pas de mème. Il y a un partage massif, éventuellement commenté, mais pas de modification du contenu. On peut éventuellement dire qu’il y a modification du signe parce que le contexte de réception change, mais la plupart du temps le message est peu altéré par la transmission.

David Heatley

Le mème suppose une réappropriation, et donc une modification de l’élément culturel. Pour que ça fonctionne, il est nécessaire qu’une partie seulement du pattern original soit modifiée. Ici l’exemple du portrait du Che, qui a comme base une photographie de Alberto Korda en 1960, mais qui trouve sa véritable matrice en 1967 avec la peinture de Jim Fitzpatrick réalisée sur base de la photo. Accompagnée ou pas de la citation "Hasta la victoria siempre" provenant d’une chanson sur le Che.

Les anthropologues sont intéressés depuis longtemps par la connaissance des processus par lequel le savoir se transmet de génération en génération, mais aussi ceux qui permettent à de nouvelles idées ou de nouveaux comportements apparaissent.
Les historiens de l’art aussi se sont intéressés à l’apparition et la propagation des signes. Comment la représentation de l’annonciation, par exemple, trouve des formes canoniques qui se duplique tout en se modifiant. Disposition spatiale des éléments dans le tableau, attitudes et signes permettant de caractériser les personnages se retrouvent dans différentes version distantes géographiquement et temporellement.

Mème et sens

Le mème se diffuse d’autant plus facilement que les moyens de son partage sont accessibles (le net et le re-postage) et que son sens est diffus. Beaucoup de mèmes paraissent absurdes, et ne semble avoir pour sens que d’accaparer l’attention un court moment, dans ce qu’on appelle l’économie de l’attention. Difficile de mettre un sens sur le Nyan cat, en effet. Mais ce n’est pas toujours le cas, et le mème est apparu comme un outil de propagande important dans différentes campagnes politiques, pour sa capacité à ridiculiser un propos ou une situation politique dont les médias ont fait echo.

Mainstream

Si le mème émerge toujours de sous-culture et se diffuse dans celle-ci, il circule aussi de sous-cultures en sous-cultures et certains mèmes accèdent au statut de mainstream, sans que personne ne sache exactement pourquoi. Ces dernières années, si certains mème célèbre sont explicables, comme le Nian Cat, bien implanté dans une culture 8bits ou le peu élégant Grumpy cat, parce qu’il représente tout de même un chat, ou encore le succès kid, parce que c’est un bébé, d’autre sont moins explicables comme le troll face.

On pourrait croire que chaque mème participe à une sorte de compétition globalisée pour la célébrité, mais dans les faits beaucoup de mème sont locaux, et ne passent à d’autres niveaux de diffusion que par hasard.

Mème et marketing

Si les stratégies publicitaires rêvent de s’emparer de la puissance de diffusion du mème, non seulement sa capacité à se répandre rapidement, son faible cout et le fait qu’il produit une adhésion et une activation du public, il y a des raisons évidentes pour lesquelles mème et publicité ne peuvent faire bon ménage. La principale est que le mème est incontrôlable dans son utilisation. Il peut servir tout aussi bien à rendre sympathique une personne ou un objet culturel qu’à le rendre ridicule par le glissement de sens qui s’opère lors de sa diffusion. Cette instabilité du signe, liée à la diffusion et la réappropriation, est un risque pour les marques.

Le mème et la culture du partage

Plutôt que de voir la production de mème comme une compétition globalisée à la "bonne idée virale" comme voudrait le voir le marketing, on peut voir le mème comme la partie émergée de l’iceberg d’une culture du partage dans laquelle le droit d’auteur laisse place à une production collectiviste et décentralisée. Même si on peut retracer l’historique d’un mème, son existence doit tout à une communauté informe et ouverte à l’image du réseau internet fait de routeurs interconnecté permettant la circulation de d’information. Plusieurs aspects attestent de la pertinence de ce crédo, comme l’absence de copyright appliqué au mème, la faible revendication du statut d’artiste ou d’auteur de ses producteurs, et l’absence de fixation de sa forme par exemple.

Sources et développement

La page wikipédia sur les mèmes
Le site know your meme

Voir aussi les termes connectés Créolisation et épigénétique.

Par Stéphane Noël, 5 octobre 2018