Vos actions : Créer un document, voir la page générale.

Cultures numériques

Cours de Bachelor 1

Est-ce qu’on pense à la douleur des capteurs infra-rouge ?

Jean Cardin

Est-ce qu’on pense à la douleur des capteurs infra-rouge ?
À première vue, c’est difficile ; mais allons.

Est-ce qu’une machine peut penser ? “Oui, à sa façon, elle pense” disait Turing. Alors on essaye de comprendre comment ça fonctionne. Se faire machine un temps. Abandonner ce qui nous fait homme - sensibilité, subjectivité, originalité, libre arbitre, jugement - et entrer dans l’espace de l’information électrique, des bit, dans l’algorithme.

Fabrication de systèmes génératifs. Modélisation d’agents qui vont se comporter ensemble pour produire ce système. Définir avec précision et rigueur chaque étapes, chaque opérations, pour aboutir à un processus. D’abord, prévoir une opération dans l’espace. Pas de grandes ambitions, non non, juste aller tout droit, et repartir dans l’autre sens quand on rencontre un obstacle..
“Y a-t’il quelque chose ?” - oui / non - si oui, le processus passe à une nouvelle étape, si non, on continue l’opération, tout en posant inlassablement la question. “Y a-t’il quelque chose ?” C’est le diagramme décisionnel ; détourné pour la possibilité de la boucle perpétuelle. Elle est peut-être là, la douleur des capteurs infra-rouge. Contrairement à l’interrupteur qui agit à la demande, les capteurs ne s’arrête jamais, pris dans un constant flux d’information, ils se posent toujours cette même question : “ y a-t’il quelque chose ? ”...

C’est marrant, de chercher la douleur des capteurs infra-rouge. C’est poétique, c’est la recherche de l’empathie. C’est très humain. Est-ce qu’il pensera à nous le capteur infra-rouge ? Nous nous sommes des chiffres, des bits, des lignes de code. La douleur en ligne de code. J’aime bien. Black Mirror, l’amour est dans le cloud. Je vais peut-être me réconcilier avec l’art algorithmique finalement.

Fabrication de systèmes génératifs. Réaliser un dessin à partir d’une grille : 6 actions pour le dessin, 6 colonnes, 12 lignes, des case de la grille gribouillées en noir. Et on lit la grille. “Y a-t’il quelque chose ?” oui ( la case est noir ) : effectuer l’action attribuée à la colonne, non ( la case est blanche ) : continuer à lire la grille. Un peu rude, le résultat donne pas grand chose. Je suis perplexe. Mais je vois où on peu aller. Si ta grille est un tant soi peu intelligemment élaborée, et qu’on la répète un bon nombre de fois, on peu obtenir un motif qui va se décliner sur toute la feuille et ainsi former quelque chose. Pourquoi pas. Mais je suis pas trop convaincu.
Je sais pas trop quoi faire. Mon voisin met des sons à la place des opérations et génère des suites de sons incompréhensibles. Pourquoi pas, mais pas trop mon dada. Je dessine des petits Sangoku sur ma feuille. Des petits Sangoku. Sangoku. Bande dessinée. Bah voilà, un générateur de bd.
6 opérations ( dessiner une maison - dessiner un personnage à l’arrière plan - dessiner un personnage au premier plan - dessiner un arbre - gribouiller - dessiner un ligne d’horizon ). Je reprends la même grille et c’est parti.
Bon, on va pas se mentir, il y a pas grand chose à garder. Le dessin est un peu brouillon, et si on part sur un truc comme ça il faut balancer un truc solide directement, au moins dans le dessin, parce que c’est dur à regarder. Ou alors c’est un story board, et il faut que ce soit suffisamment intéressant pour avoir envie de le reprendre. Mais il y a un truc qui est chouette, c’est que le système génératif n’est pas complet. Déjà il n’est même pas précisé quand changer de case, et les opérations demandent une grande part d’interprétation. Et c’est ce qui va créer le jeu. Dessiner une maison, alors ok au début je dessine une maison, comme celle que tout les enfants font, mais au fur et à mesure que je retourne sur la case je dois trouver autre chose. C’est plein de choses une maison ; c’est les marches du péron, le porte-manteau dans l’entrée, la cabine au fond du jardin, les toilettes du premier étages. C’est infini. Et ça me demande à moi dessinateur de creuser, d’envisager des possibilités, de déclencher des choses.
C’est quelque chose qui s’éloigne largement des principes de l’art algorithmique. Mais demeure cette dimension qui a déclenché mon interêt, c’est de ne pas s’en remettre qu’à ses inspirations, et créer des systèmes, des moyens de produire, de déclencher des obsession. Procédés d’interessemment. En regardant plus en profondeur le travail de Sol Lewitt, de Vera Molnar et de Tony Orrico, je me suis un peu réconcilier avec l’art algorithmique, parce que je comprends un peu plus ce qu’il font. Orrico notamment avec ses “Penwald Drawings” où il s’abandonne tout entier à un système génératif, mais pas pour s’aliéner en tant qu’humain. Mettre le cerveau en pause pour retrouver son corps. Pour lui c’est une experience sensorielle, la quête d’un équilibre dans la soumission et la performance physique. Comme chez les dessinateurs de mandala ; une idée du non-agir, de s’observer participer. Après je comprends, mais c’est un peu ennuyant quand même, je dis ça je dis rien mais La jeune fille à la perle ça a plus de gueule, ou Dragon Ball.
Mais je comprend la nécessité d’appréhender l’algorithme, comment fonctionne un ordinateur, comment il perçoit le monde. La machine rationalisante absolu où les impulsions humaines périphériques sont éffaçées des équations, du moins avant le Big Data. C’est drôle d’observer les retours de batons, de voir combien le monde des machines agit sur nous d’une manière improbable. En voulant dépasser notre sensibilité on agrandi notre espace perceptif, au delà du sensible. Après, voir comment les artistes réagissent à ça, il y a l’intention de l’algorithme, mais sans effet sur le monde, c’est rétroactif, du dialogue avec soi. Tenter d’attirer à soi la machine qui nous échappe, en s’aliénant. S’aliéner, mais en faisant de la poésie ; c’est paradoxale, c’est rigolo.
Je ne sais pas. Je ne sais pas encore très bien quoi retenir, par quoi conclure. On verra plus tard je pense. Il y a une note dans mon carnet en haut à droite sur la dernière page, à côté de ma bd : “ Perec, La vie, mode d’emploi ”. On va lire ça, et après on verra.

Par , 8 mai 2017